Page 2 - La Gatineau 28 Février 2013
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2 La Gatineau - JEUDI 28 FÉVRIER 2013
«Je veux inciter d’autres femmes à parler»
SYLVIE DEJOUY
LA GATINEAU – Le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel organisait une formation de deux jours, vendredi 22 et samedi 23. Parmi les participantes, une femme, qui a elle- même été victime à plusieurs reprises. Elle a accepté de nous raconter son histoire. Pour préserver son anonymat, nous ne dévoilerons pas son identité et nous lui avons donné un prénom d’emprunt, Marie.
Le cauchemar de Marie a commencé quand elle avait seulement 7 ans, lorsque la sœur de son père a posé les mains sur son corps de petite fille pour lui faire des attouchements. «Elle me gardait durant la fin de semaine, explique-t-elle. Mes pa- rents m’avaient confiée à elle sans inquié- tude. J’ai compris que ce n’était pas nor- mal. Mais j’étais trop petite pour savoir que ce qu’elle avait fait était une agression.»
Marie s’est murée dans le silence. Trois ans plus tard, alors qu’elle faisait du
camping, le père de son frère la rejointe dans la roulote où elle dormait. «Mon frère l’a arrêté. J’en ai parlé à ma mère mais elle m’a dit de le dire à personne et surtout pas à mon père.»
A l’âge de 13 ans, alors que sa grand- mère était chez Marie pour gardait les enfants durant la fin de semaine, un autre frère de son père l’a violée. La différence entre une agression sexuelle et un viol, c’est que pour ce dernier il y a pénétra- tion. «Mes sœurs étaient au sous-sol, ma grand-mère était en haut. Il a profité que j’étais seule dans ma chambre. Je n’ai pas été capable de crier, la peur m’a figée. Je l’ai dit à mes parents. Mais ma grand- mère a fait des menaces, disant que j’étais une menteuse, que c’est moi qui voulais ça. Elle a eu des mots très méchants. Ma mère voulait porter plainte mais mon père n’a pas voulu. J’avais 13 ans, ils avaient peur que je ne sois pas crue.»
A 17 ans et 21 ans, un autre frère de son père l’a agressée à deux reprises, profitant d’être seul avec elle et de la confiance qu’elle avait en lui. «Après la deuxième fois, j’ai beaucoup pleuré, j’avais mal au
cœur, je ne pouvais pas croire que ça recommencerait.»
Se reconstruire
Pendant longtemps, Marie a cru qu’il fallait faire ce que sa famille disait, ne surtout pas dénoncer. «J’avais un senti- ment de culpabilité, je me disais que c’était ma faute.» Mais en 2008, une ren- contre a marqué un tournant dans sa vie. «Avec l’aide d’une travailleuse sociale, j’ai déposé plainte pour toutes mes agressions. J’ai découvert le Calacs, avant je n’avais jamais demandé de l’aide. Le Calacs m’a aidée à me libérer de ce fardeau. J’avais une boule dans le ventre qui ne me quit- tait pas, je vomissais régulièrement. Raconter mon histoire m’a fait beaucoup de bien.»
Porter plainte n’a pas été simple. Marie a longtemps vécu dans la peur, cachant son adresse et ne donnant pas son numéro de téléphone, par crainte que ses agres- seurs ne lui fassent du mal. Deux ont été déclarés coupables, un troisième est décé- dé et pour le quatrième le procès est en cours.
Si c’est un grand pas pour Marie, le
chemin est encore long, elle doit se recons- truire. Même si elle a eu deux enfants, difficile d’avoir une vie de femme après avoir vécu tout ça. «J’ai peur des hommes. Avant je consommais de l’alcool pour avoir des relations sexuelles. J’ai un ami depuis 2008 mais nous n’avons jamais fait l’amour. Je suis suivie psychologiquement, cela m’aide à avancer. Mais certains jours je n’ai qu’une envie, me suicider.»
Difficile aussi d’avoir un travail, une vie stable. Marie doit par ailleurs faire le deuil de sa famille. «J’ai coupé les ponts avec beaucoup de membres, je ne vais pas souvent chez mes parents. Mon père ne sait pas comment m’aider et ma mère me dit souvent qu’elle a hâte que ça se ter- mine. Pour eux, c’est moi qui a brisé la famille.» C’est donc Marie qui se retrouve seule à Noël.
Une journée après l’autre, Marie tra- vaille fort pour s’en sortir et pour offrir une vie meilleur à ses enfants. Raconter son histoire lui fait beaucoup de bien. Elle aimerait un jour sortir un livre et inciter d’autres femmes à faire comme elle : par- ler et dénoncer.
LA GATINEAU – Rencontre avec Cathy Marinier, intervenante communautaire au Centre d’aide et de lutte contre les agres- sions à caractère sexuel.
Pourquoi y a-t-il encore autant d’agressions sexuelles aujourd’hui ?
A cause des tabous. Beaucoup de femmes ne savent pas qu’elles ont été victimes d’une agression donc elles ne dénoncent pas. Elles pensent qu’il faut avoir été violée, qu’il a fallu se débattre, crier, alors que certaines sont figées par la peur. Quand on fait des ateliers de prévention, des per- sonnes se rendent compte qu’elles ont été victimes. Elles disent qu’elles ne savaient pas que ce n’était pas normal ce qu’elles vivaient, qu’elles ne savaient pas que c’était une agression. Elles le reconnaissent sou- vent quand on décrit les conséquences.
Pensez-vous que les victimes sont suffisam- ment aidées par le système judiciaire ?
Il y a encore beaucoup de lacunes, les vic- times ne sont pas assez supportées, on leur incombe beaucoup de responsabilités. Le procès repose souvent essentiellement sur le témoignage de la victime. Or, c’est difficile de prouver une agression. Le juge veut s’assurer que la victime n’était pas
consentante. Bien souvent, l’accusé affirme que la victime était figée, donc il pensait qu’elle était consentante. Le juge doit être hors de tous doutes. Il préfère remettre un coupable en liberté que prendre le risque d’emprisonner quelqu’un à tors.
Quels services le Calacs propose aux vic- times ?
Un suivi psychologique par des rencontres individuelles pendant douze semaines. Ensuite nous faisons un arrêt d’un mois et nous pouvons recommencer douze se- maines. Le processus de guérison est très long. On travaille sur une conséquence à la fois, c’est la victime qui choisit et c’est bien souvent celle qui lui fait le plus mal. Nous offrons aussi un accompagnement en milieu judiciaire. Nous les informons de leurs droits et obligations. Nous les référons à d’autres organismes, leur faisons regarder des vidéos sur comment témoigner, nous expliquons les démarches et les embuches. Il n’y a pas de délais, tant que l’accusé est encore vivant la victime peut porter plainte. Nous faisons aussi de la prévention dans les écoles et dans le milieu commu- nautaire. Je suis convaincue que c’est en parlant des agressions sexuelles qui nous allons les diminuer.
Lever les tabous et faire de la prévention
Les Gestions L. Guy enr.
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LA GATINEAU – Selon une enquête réa- lisée au Québec en 2008, une femme sur trois a été victime d’au moins une agres- sion à caractère sexuel depuis l’âge de 16 ans.
Selon cette même enquête, 75% des femmes autochtones âgées d’au moins 18 ans ont été victimes d’agressions sexuelles. Et 39 à 68 % des femmes aux prises avec des déficiences intellectuelles seront vic- times d’au moins une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans.
Dans la Vallée-de-la-Gatineau, selon le dernier recensement, il y a 9 315 femmes, dont 1 160 qui sont dans la tranche la plus à risque soit qui sont âgées de 5 à 14 ans. Si on applique le pourcentage énuméré
plus haut d’une femme sur trois victime d’au moins une agression à caractère sexuel depuis l’âge de 16 ans, cela donne 3 105 victimes potentielles dans la région.
Toujours selon le dernier recensement, Kitigan Zibi compte 2 500 personnes et Lac Rapide 228. La moitié sont des femmes soit 1 364. Si on applique le pour- centage énuméré plus haut de 75% des femmes autochtones âgées d’au moins 18 ans qui ont été victimes d’agressions sexuelles, cela donne dans notre région 1 023 victimes potentielles.
Au total, dans l’ensemble de la Vallée- de-la-Gatineau et des communautés au- tochtones de la région, cela donne 4 128 victimes potentielles.
Des chiffres alarmants


































































































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