Page 2 - La Gatineau 12 décembre 2013
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2 12 DÉCEMBRE 2013
La Gatineau
Par Sylvie Dejouy
▲ De gauche à droite : Claudette Vaillancourt, de l’Areq; Carole Beaudin, intervenante communautaire à Halte-Femme ; Marianne Lyrette, directrice de Halte-Femme Haute-Gatineau.
MANIWAKI - Toujours dans le cadre des douze jours d’action contre la violence faite aux femmes, Halte-Femme Haute- Gatineau organisait vendredi un déjeuner causerie, au Rabaska. Les participantes se sont vues soumettre plusieurs cas de figure impliquant de la violence et il leur était demandé comment elles réagiraient. Le but était de les mettre en situation et leur apporter des conseils.
Cette activité était organisée en collaboration avec l’Areq, représentée notamment par Claudette Vaillancourt. «J’ai participé à la création d’Halte-Femme et il y avait un besoin, a-t-elle expliqué. On a encore du chemin à faire mais il ne faut pas baisser les bras.»
La maison Halte-Femme Haute-Gatineau
est un organisme sans but lucratif dont le mandat principal est d’offrir de l’aide et de l’hébergement aux femmes victimes de violence conjugale ou en difficulté, avec ou sans enfants.
Elle offre une gamme de services gratuits, 24 heures par jour et 7 jours par semaine. L’équipe d’intervention est en constante formation pour optimiser la qualité des services offerts aux femmes.
Ces services sont : accueil, hébergement, accompagnement, écoute téléphonique, consultation, intervention, sensibilisation et prévention, éducation, aide parentale, références, support, suivi formel et informel, soutien et orientation.
Il y a aussi un service jeunesse, avec une intervenante dont la mission est de réduire
les conséquences négatives sur les enfants exposés à la violence.
La violence est d’autant plus difficile à combattre qu’elle prend des formes diverses: conjugale, verbale, psychologique, économique, sociale, sexuelle, physique, spirituelle.
Pour amener les victimes vers la prise de conscience, il leur est conseillé de se poser certaines questions comme, par exemple, suis-je dépréciée, insultée par mon conjoint; est-ce qu’il me bouscule, me frappe ; ai-je peur pour ma sécurité et pour celle de mes enfants ; contrôle-t-il mes sorties et entrées à la maison ?
En cas de besoin, il est possible de contacter Halte-Femme au 819-449-4545.
▲ Une dizaine de personnes ont participé à la première marche organisée dans la Vallée-de- la-Gatineau pour rendre hommage aux victimes de la tuerie de l’École polytechnique.
Apprendre à réagir face à la violence
Marche en hommage aux victimes
MANIWAKI - Il y a 24 ans, Marc Lépine faisait irruption à l’École polytechnique et tuait 14 personnes, toutes des femmes. Ce triste anniversaire a été souligné vendredi lors de différents rassemblements, au Québec et à Ottawa. Pour la première fois, une marche était organisée à Maniwaki afin de rendre hommage aux victimes et de sensibiliser au problème de la violence envers les femmes.
Cette activité s’inscrivait dans le cadre des douze jours d’action contre la violence faite aux femmes, qui s’étalaient du 25 novembre au 6 décembre. La première date marque la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. La seconde la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes,
instituée par le Parlement du Canada en 1991 à la suite du drame sur venu à l’École polytechnique de Montréal.
C’est le Comité-Femme de la Vallée-de- la-Gatineau qui a eu l’idée d’organiser cette marche. Une dizaine de personnes ont pris le départ de la polyvalente, malgré le froid. Certaines portaient des pancartes avec des slogans tel que «Nous lutterons jusqu’au bout». Toutes se sont vues remettre le petit ruban blanc, symbole des douze jours d’action.
Le 6 décembre 1989, Marc Lépine a fait irruption dans l’École polytechnique de Montréal et il a ouvert le feu sur vingt-huit personnes, en tuant quatorze (toutes des femmes) et en blessant quatorze autres (4
hommes et 10 femmes), avant de se suicider. Les crimes furent perpétrés en moins de vingt minutes à l’aide d’une carabine semi- automatique obtenue légalement.
Les victimes qui ont perdu la vie sont Geneviève Bergeron, Hélène Colgan, Nathalie Croteau, Barbara Daigneault, Anne-Marie Edward, Maud Haviernick, Barbara Klucznik-Widajewicz, Maryse Laganière, Maryse Leclair, Anne-Marie Lemay, Sonia Pelletier, Michèle Richard, Annie St-Arneault, Annie Turcotte.
Depuis ce drame, pour lequel trois jours de deuil national avaient été déclarés, des marches sont organisées tous les ans partout au Québec. Désormais, cela devrait être aussi le cas chaque année à Maniwaki.
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La lutte des femmes
en quelques dates
lesfemmes
obtiennent le droit
de vote au fédéral.
les femmes sont reconnues comme
une personne en terme juridique.
les femmes
obtiennent le droit de vote au Québec. Marie-ClaireKirkland est la première
femme élue députée
à l’Assemblée nationale du Québec. l’Assemblée nationale institue le mariage civil, le parlement fédéral adopte la loi sur le divorce.
les femmes obtiennent le droit d’être jurées. l’égalité entre les conjoints est reconnue. la Cour suprême déclare illégale la loi qui criminalise l’avortement.
Pauline Marois devient
la première femme Première ministre au QC.
VIOLENCE CONJUGALE
Une femme raconte son histoire
LA GATINEAU - Ça lui a pris beaucoup de temps et d’efforts pour sortir du silence. Après avoir subi pendant plus de trente ans les coups et insultes de son mari, une femme a accepté de raconter l’enfer qu’elle a vécu. Pour préserver sa sécurité, nous lui avons donné un prénom d’emprunt, Jeanne. Elle espère que son histoire incitera d’autres victimes à demander de l’aide.
C’est à l’âge de 13 ans que Jeanne a eu son premier contact avec un homme violent. «Je gar- dais les enfants d’une dame qui a appelé un taxi pour que je retourne chez moi, explique-t-elle. Le chauffeur s’est arrêté, a sauté sur le siège arrière et a essayé de me violer. Je me suis débattue, il m’a donné plusieurs claques mais j’ai réussi à m’enfuir. Dans la panique, je suis tombée dans un fossé. J’ai voulu arrêter une voiture pour demander de l’aide mais c’était lui. Il m’a alors violée.»
Pendant longtemps, Jeanne n’a pas pu en par- ler à ses parents, «ils travaillaient beaucoup et les fins de semaine ils buvaient». Elle a donc enfoui ce viol, persuadée qu’après tout c’était de sa faute, du jean moulant et du gilet court qu’elle portait ce jour-là. «Pendant longtemps je n’ai pas été capable de porter un jean», note Jeanne.
Jeune adolescente, elle a rencontré celui qui deviendra son mari. À peine installés ensemble qu’il commençait déjà à la battre. Très vite, les claques sont devenues des coups de poing. «Il buvait beaucoup, raconte Jeanne. Quand je lui demandais pourquoi il m’avait frappée, il disait
qu’il ne s’en souvenait pas.»
Sournoisement, l’homme a profité de la fra- gilité de la jeune femme pour instaurer une situation de dépendance basée sur la peur.
«Avant qu’on ne soit ensemble, il m’a forcée à avoir des rapports sexuels à plusieurs reprises, explique-t-elle. Un jour, il m’a attachée au lit toute une journée alors que je voulais partir.» «La peur était déjà instaurée, explique Carole Beaudin, intervenante communautaire à Halte- Femme. C’est ce qui explique qu’elle a fini par s’installer avec lui. Il ne la laissait plus partir.»
La situation s’est empirée lorsque Jeanne est tombée enceinte. «Quand il l’a appris, il était furieux, raconte-t-elle. Il a continué à me battre quand même, les derniers mois il me faisait coucher par terre. Comme l’accouchement a été difficile, je n’ai pas pu reprendre la pilule tout de suite donc je suis retombée enceinte. C’était une deuxième fille, il était furieux de ne pas avoir un gars et n’a jamais accepté la petite.»
Jeanne a subi plusieurs formes de violence, à commencer par de la violence physique. «J’avais souvent des bleus, j’utilisais des sangsues pour les faire disparaître. Il s’énervait pour un rien et ne voulait pas que j’aille à l’hôpital.» Il y a aussi eu de la violence sexuelle, sociale, économique: «Il m’empêchait de voir des gens, quand quelqu’un venait à la maison il m’envoyait dans ma chambre. On déménageait souvent à cause du bruit. Il contrôlait l’argent, tout. Il me
rabaissait, je n’étais jamais assez bien pour lui.»
Plusieurs fois Jeanne a voulu partir mais la peur et les enfants la retenaient. De plus, Jeanne assure n’avoir jamais reçu l’aide des policiers ni des juges. Aucune décision de justice n’a été pro- noncée pour l’empêcher de l’approcher et il a souvent convaincu les policiers que c’était elle qui avait un problème. «Aujourd’hui, les poli- ciers ont quelques heures de formation sur la violence conjugale ce qui leur permet de mieux savoir comment réagir», précise Carole Beaudin.
Finalement, Jeanne a demandé le divorce. Quand la séparation a d’abord été prononcée, elle a obtenu de rester dans la maison mais lui avait toujours accès au garage : «Il continuait ses menaces, j’étais stressée, je ne vivais plus. Je n’ai pas pu me présenter à la cour car il m’avait menacée de mort. J’étais en grosse dépression, j’ai fait 4 à 5 tentatives de suicide.»
Aujourd’hui, elle n’a plus de contacts avec son ex-mari, même si des fois elle le croise par hasard : «Parfois j’ai peur, d’autres fois je vou- drais lui faire du mal comme il m’en a fait.» Ça a pris beaucoup de temps à Jeanne pour deman- der de l’aide. Comprendre que rien n’était de sa faute a été le plus difficile. Aujourd’hui elle par- ticipe à des ateliers organisés par Halte-Femme, dans lesquels elle raconte son vécu. Son conseil à une femme qui vivrait la même chose : «On est pas obligées d’accepter la violence. Il ne faut pas attendre une trentaine d’années.»


































































































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